Christian Darles

La leçon du vernaculaire : Shabwa, Yemen.

Séance 1 : Conception des bâtiments.

En quoi la connaissance archéologique des maisons yéménites d’hier et d’aujourd’hui peut-elle inspirer notre approche contemporaine de la construction et de l’énergie ?

Notre propos s’appuie sur quarante années de travail pluridisciplinaire mené avec des géographes, archéologues, historiens et anthropologues ou épigraphistes spécialistes du Sud de l’Arabie. On ne peut pas dissocier la maison de son environnement, on ne peut pas écarter l’habitant en prise avec un réel qui le façonne. L’économie de subsistance a généré de nombreux savoir-faire qui perdurent malgré les modèles et les produits internationaux.

Le type de la maison-tour unifamiliale a été élaboré depuis trois millénaires. Il s’agit, par delà l’aspect défensif, d’économiser la terre agricole et de profiter des migrations internes quotidiennes ou saisonnières des habitants, en jouant avec l’inertie thermique des parois et les énergies naturelles. La vie quotidienne est fondée sur la gestion des ventilations naturelles et sur l’usage des grands « puits de jour » intérieurs propres à chaque édifice.

Dans le désert d’Arabie, au cœur du Yémen aride, à Shabwa, les archéologues ont découvert des habitations de plusieurs étages, de 15 mètres de hauteur, bâties sur de puissants socles de pierre. L’ossature de bois représente 40 % du volume des matériaux de construction, la brique de terre séchée au soleil est majoritairement employée. Pourquoi a-t-on fait des « chalets suisses » en l’absence d’arbres ? Pour faire des économies d’énergie, ces paysans et guerriers ont bâti avec les résidus du bois nécessaire à la cuisine, à la fabrication des poteries, à celle de la chaux ou pour la métallurgie. On ne perd rien ; quand l’arbre est débité, les grosses pièces fournissent l’ossature, le feuillage et les branches alimentent les différents foyers. Les pièces de bois sont remployées sans discontinuer pendant mille ans car elles ont des mesures standardisées et que le climat aride garantit leur conservation.

Aujourd’hui, le bois vient à manquer ; il n’est plus utilisé que pour l’ossature des planchers. Économie de moyens et contrôle savant de l’environnement arbustif, tels sont les fondements d’une construction raisonnée et savante, toujours développée malgré l’invasion du parpaing de ciment.

L’écologie des systèmes et la durabilité, c’est cela…

 

Christian Darles

Architecte DPLG depuis 1974, Docteur en Sciences de l’Antiquité – Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès en 2008, Habilité à Diriger des Recherches en Sciences de l’Antiquité – Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès en 2014, Christian Darles est enseignant honoraire à l’Ensa de Toulouse. Associé aux recherches des UMR Traces, UMR Orient et Méditerranée et au Centre français d’archéologie et de sciences sociales (CEFAS) de Sanaa-Djeddah-Koweit, il a réalisé de nombreuses recherches archéologiques au Yémen.